EVOLUTION DE LA THÉORIE DE L’EVOLUTION

DIEU S’APPELAIT-IL DARWIN ?

« L’histoire n’est que l’évolution de l’idée de Dieu dans l’humanité. »
(Alphonse Esquiros. Les martyrs de la liberté)

En Europe jusqu’au 18ème siècle la présence de l’homme sur la terre ne posa aucune véritable question tant les références à l’Univers divin étaient admises. Il existait, pour les chrétiens, trois points de repère temporels, la création d’Adam, le déluge et la naissance de Jésus. On parlait ainsi d’événements antédiluviens (avant le déluge), préceltiques (les celtes constituant la civilisation qui semblait la plus ancienne), ou appartenant au calendrier julien, puis grégorien, basés sur la naissance du Christ. L’homme vivait dans un monde immobile et fixe dont la durée limitée était comprise entre la création du monde et l’apocalypse.
La culture humaine évoluait, la connaissance progressait mais l’homme et les animaux restaient immuables comme on les avait créés. Les pathologies dont ils étaient victimes avaient pour origine des conflits internes provoqués par les éléments ou les esprits, que ces derniers soient malins ou divins. Le microcosme représenté par l’agencement des organes et l’équilibre des humeurs se calquait sur le macrocosme, dans un mouvement perpétuel mais toujours reproductible *.

* « Natura non facit saltus » La nature ne fait pas de sauts (Nouveaux essais IV, 16) Leibniz.

Naturellement, de très nombreux savants, philosophes ou théologiens se sont penchés sur le pourquoi et le comment de la création, et/ou de l’évolution, depuis sa phase initiale, le début de la vie, jusqu’à l’apparition de l’homme. Parmi eux, Buffon, Cuvier, Geoffroy Saint-Hilaire, Lamarck, Darwin, Hugo de Vries… ont proposé des hypothèses novatrices et pour certains, établi de véritables théories.

= Le créationnisme

Le créationnisme fait référence à la Genèse, récit biblique qui explique en six jours (ou six unités de temps variable pour les néo-créationnistes), la mise en place des étoiles, de la mer, des plantes, des animaux et enfin de l’homme façonné par Dieu, et animé d’un souffle divin. Cette théorie, ou plutôt cette religion encore enseignée par de intégristes religieux, réfute naturellement toute ascendance simiesque à l’homme. La terre a été crée il y a six mille ans, et pourvue par Dieu de l’ensemble des espèces végétales et animales. Il est certain que cette conception, maintenant abandonnée par le monde scientifique, résolvait le mystère de nos origines, seul détail malheureusement non explicité, de quel sexe pouvaient bien être les anges ?

= Evolutionnisme

L’évolutionnisme est une conception relativement ancienne qui servit de base aux différentes théories susceptibles d’expliciter la « dérive des espèces ». Suivant cette conception philosophique déjà débattue par Buffon *, Diderot et Darwin E. (le grand père de Charles), les espèces animales (l’homme n’étant évoqué que de façon marginale pour des raisons religieuses) se modifient au cours du temps.
Cette idée, née de l’observation des plantes et d’espèces animales domestiques (la sélection des espèces et la création de nouvelles espèces étaient pratiquées depuis des centaines d’années), servi de terreau aux discussions qui s’étagèrent sur toute la durée du 18ème et 19ème siècle. Contrairement à la croyance générale Darwin ne fût donc que l’utilisateur de l’évolutionnisme auquel il appliqua la sélection naturelle.

* Georges-louis Leclerc de Buffon (1707-1788) fut élu à 27 ans à l’Académie des Sciences et nommé douze ans plus tard intendant des jardins du Roi. Rédacteur avec Daubenton de l’Histoire Naturelle, il s’oppose très vite à Linné au sujet de ses classifications du monde animal et surtout de la manière dont il caractérise les espèces (Buffon est le premier à considérer la fécondité comme clé de voûte de l’espèce).

= Fixisme et catastrophisme de Cuvier

Cuvier Georges (1769-1832) zoologiste et paléontologue fût le créateur de l’anatomie comparée et de la paléontologie. Il découvrit et expliqua « les lois de subordination des organes et de corrélation des formes ». On lui doit les premières reconstitutions de mammifères fossiles à partir de quelques os. Suivant Cuvier il n’y avait ni évolution possible, ni transformation des espèces. Il s’opposa à ce sujet à Geoffroy Saint Hilaire, qui défendit l’évolutionnisme, dans une joute célèbre à propos d’un crocodilien fossile retrouvé dans les calcaires de Caen *.

* Le crocodile représenté rue Cuvier à Paris au pied de la fontaine fait un pied de nez à l’évolution. En effet le sculpteur qui avait sans doute examiné très peu de crocodiles, a représenté un animal la gueule ouverte… par élévation du maxillaire supérieur qui comme chacun sait est fixe malgré ce que pensait Hérodote (contrairement aux ophidiens les crocodiliens ne possèdent pas d’os carré permettant une ouverture simultanées des deux mâchoires).

Pour Cuvier les espèces descendaient de familles sans parents communs (il n’existait pas d’arbre phylogénique, mais des rameaux partant tous de la création initiale des animaux), et surtout sans évolution possible en dehors des cataclysmes naturels. Les espèces éteintes ne pouvaient appartenir à la filiation des espèces modernes considérées comme survivantes aux catastrophes géophysiques (le déluge biblique étant la plus célèbre). Ce fixisme teinté de catastrophisme était certainement né de l’observation des animaux modernes réalisée en anatomie comparée. Cette théorie défendue bec et ongles par son auteur résista aux controverses menées par Lamarck et surtout de Geoffroy Saint Hilaire. La théorie de Cuvier repose sur le fait qu’il faut obligatoirement un bouleversement considérable pour provoquer d’une part la naissance de nouvelles espèces et concomitamment la disparition des anciennes. Si Cuvier postulait l’existence de quatre catastrophes majeures, dont le déluge, il n’étendra pas comme ses successeurs, le catastrophisme général au microcatastrophisme local. Certaines théories modernes comme celle en rapport avec les modifications climatiques secondaires à l’écrasement d’un astéroïde à la surface de la terre semblent dériver en droite ligne de cette théorie*. Si le fixisme apparaît aujourd’hui totalement dépassé, il est toutefois possible d’assimiler en partie le microcatastrophisme à l’expression de forces mutagènes locales appliquées à un isolat de population (radiations ionisantes, modification brutale d’un biotope…).

* Les questions posées par cette catastrophe ne concernent pas directement les effets immédiats de la chute d’un astéroïde (estimé à 170 kilomètres de diamètre), il y a 65 millions d’années dans le golf du Mexique à Chicxulub, mais les conséquences de cette chute. S’il est avéré maintenant qu’un objet cosmique de cette taille peut être responsable d’une modification profonde du climat (diminution des radiations solaires) et de l’atmosphère (libération de gaz et de métaux, éruptions volcaniques), donc de grands changements au niveau des filières alimentaires de nombreux animaux, la durée des processus d’extinction paraît bien longue (500 000 ans). Il est de plus en plus probable que cette météorite géante n’a fait qu’aggraver une période décidément bien changeante (volcanisme accru, régression marine, refroidissement, puis réchauffement de la planète, crise planctonique débutée quelques centaines de milliers d’années avant). On considère généralement que les trois quarts des espèces vivantes et une centaine de familles (sur environ 600 familles) disparurent sans laisser de descendants.

= Transformisme de Lamarck

Lamarck Jean baptiste (1744-1829) publie en 1809 sa Philosophie zoologique, ouvrage qui expose sa théorie dite « transformiste ». Dans son livre Lamarck dresse un tableau des espèces vivantes des plus simples aux plus complexes en définissant déjà la notion de niche écologique « ces animaux se répandant généralement dans toutes les régions habitables du globe, chaque espèce a reçu de l’influence des circonstances dans lesquelles elle s’est rencontrée, des habitudes que nous lui connaissons et des modifications dans ses parties que l’observation nous montre en elle ».

Lamarck définit ainsi l’importance du milieu sur la « transformation » des espèces par l’influence des circonstances du biotope. Le biais de cette théorie, qui sera mis en évidence beaucoup plus tard, réside dans la transmission aux descendants des caractères acquis. Les pattes palmées de la grenouille, la longueur du cou de la girafe auraient été transformées par la nécessité de s’adapter au milieu, avant de s’intégrer au patrimoine génétique de l’espèce. Les espèces ne sont donc pas « fixées » une fois pour toute, elles évoluent graduellement pour atteindre la « perfection », c’est à dire pour s’adapter le mieux possible aux conditions environnementales. L’hérédité de l’acquis n’a été abandonnée que récemment (début du 20ème siècle) après que le développement de la biologie moléculaire et de la génétique aient démontré le caractère erroné de cette théorie. Cependant, certains adeptes de cette conception font encore état de la capacité que présenteraient certaines cellules somatiques d’intégrer de nouvelles données génétiques grâce à un processus reverse. C’est-à-dire la possibilité de transformer des segments d’ARN en ADN. Ce phénomène bien connu chez les rétrovirus est rendu possible par l’existence d’une transcriptase inverse, il n’a jamais jusqu’à ce jour put être observé dans d’autres cellules plus complexes.

= La sélection naturelle de Darwin (gradualisme)

Charles Darwin (1809-1882) publia plusieurs années après un voyage qu’il fit en circumnavigation « L’origine des espèces » (1859) qui trace les grandes lignes de l’évolution en associant pour la première fois mutation et sélection naturelle. Cette notion, comprise comme l’ensemble des pressions sélectives intra et extra spécifiques, aboutissant à la promotion des individus les plus adaptés à leur milieu. Qui plus est Darwin inclus l’espèce humaine dans sa théorie, reconnaissant de fait que son existence et son aspect présent sont, comme pour les animaux, le fruit de multiples variations héréditaires. Sa théorie longtemps opposée à celle de l’hérédité de l’acquis des néolamarckistes se trouvera définitivement complétée par la conception génotypiste de Weismann qui met en évidence d’une part la transmission des caractères innés par les cellules germinales, et d’autre part l’incapacité du génome à accepter de nouvelles données (il montra ainsi que des générations de souris auxquelles on coupait la queue donnaient toujours naissance à des individus munis de cet appendice). Le génotype contenu dans les chromosomes de chaque parent se retrouve pour moitié chez les enfants et prolonge ainsi le flux génétique de l’espèce. Quand une mutation apparaît au niveau des chromosomes contenus dans les cellules germinales des parents, ou lors de la recomposition du génotype spécifique à l’enfant, cette mutation, si elle est viable et positive (présentant un avantage par rapport au processus sélectif) sera intégrée au nouveau génome et reproduite au cours des générations futures. Le pas fût définitivement franchit quand on commença à reconnaître pour la première fois que vraisemblablement l’homme descendait du singe, ou tout au moins d’un très proche parent. Le darwinisme considère donc que la sélection naturelle assure un triage des micromutations successives en privilégiant les individus les mieux adaptés à leur milieu, en sachant que si le milieu se modifie, le sens de la sélection sera aussi modifié.

= Mutationnisme de De Vries, vers l’équilibre ponctué

Le mutationnisme est né au début du 20ème siècle avec la découverte de la génétique. L’innovation de cette théorie repose sur l’importance de la mutation qui devient le point central de l’évolution. L’évolution est conçue comme un processus discontinu, la sélection naturelle n’apparaît plus que comme un phénomène de moindre importance incapable de rendre compte à elle seule des mécanismes évolutifs. Avant l’élaboration de cette théorie, et en application stricte des hypothèses édictées par Darwin, on supposait que l’évolution d’une espèce se réalisait graduellement, au rythme des mutations et des adaptations au milieu, seuls les individus capables de résister aux agressions intra et extraspécifiques réussissant à survivre. Pour les adeptes du schéma gradualiste les changements se manifestent par petites touches. Pendant de très longues périodes de temps l’espèce évolue peu ; chaque maillon présente une sorte d’état intermédiaire entre ses ascendants et ses descendants. La dérive génétique développée dans un isolat sans pression sélective particulière peut être à l’origine de races. La lecture phylogénique est facile, chaque espèce peut être aisément placée dans un système taxinomique. A l’inverse, l’équilibre ponctué (Eldredge et Gould) s’appuie sur des successions de mutations à priori « neutres », ne modifiant pas l’aspect de l’animal, mais susceptibles de changer un certain nombre de caractères physiologiques. Survient alors une modification majeure pouvant être à l’origine d’un changement brutal d’espèce. Les liens ou les ressemblances entre les parents et les enfants mutés sont considérables, la reproduction entre l’espèce mutée et l’espèce initiale n’est plus possible. Il semble aujourd’hui que ces deux modes d’évolution cohabitent au sein d’un même taxon expliquant en partie les très grandes inégalités d’évolution des différentes espèces.

= Néodarwinisme

Cette dernière interprétation de l’évolution est née de l’incompatibilité apparente entre le darwinisme et le mutationnisme. Elle repose sur l’étude de la génétique des populations. L’hypothèse basale de cette théorie fait appel, dans une population se reproduisant au hasard, aux variations de fréquence d’un gène allèle dominant d’une part, et à l’importance de la sélection d’autre part. Ainsi, en fonction du nombre d’individus susceptibles de se reproduire, le phénomène évolutif se trouve soit essentiellement sous la dépendance de la fréquence des mutations pour un gène donné, soit plutôt en relation avec le facteur sélectif. Cette théorie séduisante, quand elle s’applique à des populations d’individus ne possédant pas de structure sociale faussant la loi du hasard, est d’une application beaucoup plus difficile avec les mammifères chez qui le choix reproductif est éminemment codifié. Néanmoins, si l’on excepte la notion purement mathématique de cette théorie, il est certain qu’elle présente l’avantage de prendre en compte simultanément la fréquence des mutations et l’importance du caractère sélectif, dans des populations dont la taille déterminera le rôle relatif de l’un et de l’autre.

= Théorie synthétique

Le néodarwinisme ouvrit la porte à la théorie synthétique qui modifia la notion d’espèce en abandonnant la définition typologique pour une vision plus biologique de ce concept. L’espèce n’est plus représentée par un type caractéristique, mais par un ensemble d’individus présentant des caractères communs mais non nécessairement identiques. Cette théorie envisage en termes d’espèce l’ensemble des hybrides dérivant directement de l’espèce originale mais toujours capables de se croiser et d’avoir des produits fertiles. Sur un plan strictement paléontologique il est évident que l’application de cette théorie pour définir les limites d’une espèce est excessivement difficile, seule l’utilisation des mathématiques statistiques peut aider le chercheur. Tout se passe comme si la vision que l’on a de l’espèce prenait désormais en compte un intervalle de confiance et non plus seulement la moyenne définie pour chaque caractère.

Alors finalement, comment s’appelait Dieu? Charles Peut être!