MANGE TA SOUPE

MANGE TA SOUPE

Ça te fera grandir…, prétendait ma grand-mère qui possédait un solide bon sens.

                  De la taille d’un sujet peut dépendre sa survie du fait de son adaptation au milieu. Dans le monde animal on sait depuis longtemps que les espèces vivant en forêt, sous le couvert, sont plus petites que celles vivant en brousse. L’évolution des différentes lignées animales montre en général une augmentation globale de la taille des individus qui peut même tendre au gigantisme comme beaucoup de dinosaures du Jurassique et du Crétacé. Il est encore difficile d’évaluer l’évolution de la taille des hominidés, de l’Australopithèque à Homo malgré l‘augmentation du nombre des ossements post-crâniens découverts, car l’intégration de leur propriétaire dans notre arbre phylogénique n’est pas encore connue avec certitude. Que Lucy soit petite n’est donc en rien une preuve suffisante pour affirmer que depuis cette lointaine période les hominidés ont subi une augmentation progressive de leur taille. Peut être sommes nous passé par des phases d’augmentation, de stagnation, voire de régression.
La taille, mesurée depuis la plus haute antiquité, reste un des paramètres prédictifs le plus mal connu Si l’on parvient sans peine à mesurer un être vivant, dès que celui ci trépasse la marge d’erreur devient importante et, mis à part notre ami Sherlock Holmes, personne ne peut, à dix centimètres près, évaluer la mesure initiale du sujet. La grandeur de nos ancêtres demeure donc du domaine de l’approximation, même si cette dernière nous donne une fourchette évoluant dans un domaine de probabilité de plus ou moins 15 cm.
L.P.Manouvrier, étudiant de P. Broca fût un des premiers à évaluer la taille des individus à partir de leurs os longs et notamment du fémur, technique qui reste encore valable aujourd’hui dans une population donnée mais difficile à mettre en œuvre pour des individus fossiles chez qui l’on ne connaît pas nécessairement les tailles relative de cet os par rapport au tibia et à la hauteur du rachis.
Mais le problème posé par la mesure de la taille ne se limite pas au passé. L’homme a toujours cherché à savoir quelle serait la taille de ses enfants et surtout si ceux-ci seraient plus grands que lui. Les matrones, les mages, et plus récemment les scientifiques se sont interrogés sur les paramètres susceptibles de fournir une information valable. Tout a été passé en revue, le jour de la naissance, le signe zodiacal, la taille des pieds, des mains ou du nourrisson à la naissance, la taille à huit mois, la taille à deux ans (moitié de la taille adulte pour certains), l’âge osseux calculé à partir d’une radiographie de poignet ou de l’aile iliaque, l’âge de la puberté, la taille des grands parents…. pour en arriver aujourd’hui à constater que seule la taille moyenne des parents peut donner avec beaucoup d’approximation un aperçu de la taille de leur progéniture. Cette appréciation, prise en compte par les entraîneurs de basket à la sortie des écoles (c’est la taille de la mère qui était évaluée et l’enfant recruté), a déjà montré son efficacité pour constituer des équipes de « haut niveau ».

                  L’étude de la taille des populations sur la planète met en évidence une grande disparité suivant les origines et les groupes ethniques sans qu’il soit possible d’en tirer des conclusions significatives. De manière très schématique on constate, du moins au niveau des méridiens passant par l’Europe* :

                      Une très nette diminution nord/sud de la taille moyenne (Pays nordique, anglo-saxon, méditerranéen),

                  Une taille plus importante chez les nomades du désert ou des zones arbustives que chez les habitants des zones tropicales couvertes avec des pics pour les Massaïs et les pygmées.

* Si l’on élargit notre champ de vision on s’aperçoit très vite que la grand taille des populations nordiques ne constitue qu’un épiphénomène local au regard des inuits et des mongols vivant sous des latitudes semblables (Loi d’Allen). Dans le sens est/ouest la taille relativement faible des autochtones des pays asiatiques augmente progressivement si l’on se déplace vers l’Ouest avec là encore des exceptions pour des populations soumises à des contraintes climatiques très dures.

Actuellement la taille des individus appartenant à notre espèce varie de manière tout à fait normale de 1,25 m à 2 mètres pour des sujets adultes de sexe masculin. Cette grande variabilité héréditaire doit être confrontée aux données écologiques locales * capables d’influencer dans un sens ou dans un autre sur la taille moyenne des populations. Le cas le plus significatif chez les fossiles est celui des squelettes découverts dans les grottes entourant le mont Carmel en Israël. La taille des néandertaliens trouvés dans cette région peut varier de plus de 25 cm entre les plus grands et les plus petits.

* En un siècle la taille des japonais a augmenté de 13 cm chez les hommes (taille actuelle moyenne = 173 cm) et de 11 cm chez les femmes (taille actuelle moyenne = 158 cm).

La taille obéit certainement à plusieurs gènes de structure, eux mêmes soumis à des régulations. Parmi ces gènes certains sont dominants, donnant ainsi une première génération aussi grande (ou aussi petite) que l’un des deux parents, d’autres sont récessifs et ne s’expriment pas lors de la première génération mais seulement deux générations plus tard (il est aussi grand que son grand père). A ces expressions phénotypiques somatiques s’ajoute le dimorphisme sexuel (les hommes modernes sont en moyenne plus grand de 15 cm que les femmes). Cette particularité sexuelle ne signifie pas que la localisation de ce caractère figure nécessairement sur l’un des deux chromosomes sexuels, mais plutôt que les différences hormonales induites par ces chromosomes favorisent plus ou moins la croissance staturale, mécanisme proche de celui connu pour l’acquisition de la masse musculaire.
Les gènes de régulation jouent, ou ont joué, certainement un rôle prépondérant dans l’accroissement de la taille des hominidés au cours de l’évolution. En retardant la puberté et les processus de maturation des os, il est possible que ces gènes aient prolongé la phase de croissance permettant à l’adulte moderne d’atteindre une taille bien supérieure à celle de ses ancêtres (si toutefois ces derniers étaient aussi petits qu’on le pense). Il est certain que la taille supposée des Australopithèques ayant marqué le sol de Laetoli de leurs empreintes (1,80 m pour le plus grand et entre 1,20 et 1,40 m pour le plus petit) pose de nouvelles questions sur l’évolution de ce paramètre pendant les 4 à 5 millions d’années suivantes.
La taille d’un individu adulte, autrement dit son phénotype statural définitif, correspond donc à l’expression de plusieurs gènes, expression elle-même soumise à des processus adaptatifs.

Les paramètres adaptatifs capables d’agir sur la taille définitive sont :

                                      + L’apport nutritionnel. Les restrictions alimentaires, les famines répétitives, les mal nutritions endémiques, les carences de toute sorte diminuent spontanément la taille de la population.
Tout se passe comme si la taille programmée génétiquement ne pouvait être atteinte.

                                    + Les conditions climatiques difficiles (altitude, froid) abritent des populations dont la taille est souvent inférieure à des populations de même origine mais soumises à des conditions moins difficiles.

                                               + Le métissage peut être à l’origine de convergences phénotypiques amenant des populations entières à grandir de plusieurs dizaines de centimètres en moins de 15 générations.

                                         + Le niveau économique, qui peut être rapproché de la qualité des conditions nutritionnelles, sans toutefois être limité à cet unique paramètre est également connu pour favoriser la taille des enfants.

                                           + Des critères purement ethniques relevant du choix esthétique d’une population. Il est probable que le rôle important que joue la grande taille des Tutsi originaire du Rwanda et des pays limitrophes a favorisé chez ces populations le maintien de ce caractère considéré comme critère esthétique et limité les métissages avec des populations plus petites comme les Hutu qui se partagent les mêmes territoires.

A la taille génétique s’ajoute donc de très nombreux facteurs liés à l’environnement et au développement de la population. A posteriori il apparaît donc très difficile, à partir d’un individu, ou de quelques dizaines d’individus d’évaluer la taille moyenne d’une population (les tables à disposition des pédiatres sont de bien piètres moyens d’évaluation). Ce paramètre mal connu, et pourtant essentiel dans le développement des hominidés, trouvera certainement dans l’étude complète du génome humain des premiers éléments de réponse qu’il conviendra de confronter aux données environnementales supposées de nos ancêtres.